LE SEMIS DU PIMENT D’ESPELETTE, L’HISTOIRE D’UNE SEMENCE FERMIÈRE
L’histoire raconte qu’il y a près de 400 ans, un marin basque serait revenu au pays avec dans sa besace, quelques trésors rapportés des indes occidentales. Quelques petites graines de piment en faisaient partie. Ces dernières, plantées dans le jardin d’une ferme de la vallée de la Nive, trouvèrent un climat et un terroir propices à leur épanouissement. Le 1er piment du Pays basque Nord s’éveillait.
Progressivement, de ferme en ferme, les femmes allaient cultiver le piment d’Espelette en prenant soin de sélectionner les meilleures semences d’une année sur l’autre. Au début du XXe siècle, à Espelette, huit fermes s’étaient spécialisées dans la réalisation du semis et la vente de plants : Elizaldea, Campagna, Hiraberria, Apetxea, Bordda, Ttipittoenborda, Pugnalenea, Martikotenea. Pour le semis, elles attendaient la St Joseph (le 19 mars) et pratiquaient une technique ancienne : BIPER META. On ne saurait dater exactement le début de cette pratique. De la tradition orale, on rapporte qu’elle serait apparue au XIXème siècle. Mais beaucoup se plaisent à dire qu’elle serait encore plus ancienne.
Et si nous faisions un petit saut dans le temps pour revenir au début du XXe siècle ?
Nous sommes à la ferme Elizaldea, ferme typique du Pays Basque, basée sur un modèle agro-pastoral. Elle répond au concept d’etxalde [etchaldé] comme la plupart des autres fermes. Ce modèle repose sur une cellule économique et sociale uniquement octroyée autour des membres de la famille. Ici composée de M. et Mme Borda et leurs trois enfants. Les etxalde ont toujours fonctionné entre elles suivant des règles de parenté ou de voisinage. C’est un système d’entraide et d’échange, aujourd’hui présent mais à moindre échelle. La notion d’etxalde explique en grande partie comment et pourquoi ce savoir-faire de semis a certes évolué mais perdure encore aujourd’hui au XXIème siècle.
Pour réaliser Biper meta, M. Borda forme tout d’abord un rectangle de 10 mètres sur 6 mètres avec des piquets de chêne et un tressage de branches de noisetiers. Au centre, il créé une allée afin que Mme Borda puisse observer le développement du semis, la levée. Puis il divise le reste de ce grand rectangle en plusieurs parties égales. A l’intérieur de ces rectangles, est créé un « millefeuilles », une succession de couches organiques :
Dans un premier temps, M. Borda place des genêts (Othea) ou des fougères en guise de soutrage. Ensuite vient le fumier de cheval, le plus commun, ou de vache et de cochons. Pour terminer, une couche de terre passée au tamis (bahea) et mélangée à du fumier de brebis vient créer le lit sur lequel l’ensemble de la famille vient semer les graines de piment.
Avec cette superposition de couches, les graines bénéficient de la chaleur du fumier de cheval (ou de vache/cochon) et tirent leurs nutriments du fumier de brebis. Cette méthode est aussi appelée « couche chaude ». Attention ! C’est une organisation qui se veut précise et stratégique. En effet si trop de fumier de cheval (ou de vache/cochon), il y aura trop de chaleur et la graine brûle. Si une quantité insuffisante est apportée, pas assez de chaleur et la graine ne germe pas. Les membres de la famille viendront tout à tour surveiller de près la germination. Il n’y a aujourd’hui plus beaucoup de producteurs pratiquant cette technique. Mais les méthodes actuelles ne se veulent pas moins précises et rigoureuses !
En revanche, ce qui a été conservé depuis tant de siècles, c’est cette sélection de qualité, la sélection des graines pour les semis de l’année suivante. Chaque femme, lors de ses récoltes, choisissait les plus beaux piments. Un choix basé sur sa belle couleur rouge, homogène, la finesse de sa peau, sa forme triangulaire, sa taille, sa typicité.
Le semis de nos jours
Certains producteurs attendent la mi-mars pour semer mais d’autres débutent dès la fin février si les températures sont clémentes.
Beaucoup pratiquent le semis à la volée (PHOTO 1) dans des contenants qui diffèrent d’une ferme à l’autre : caissette, bacs en plastique, bois ou en polystyrène (PHOTO 2). D’autres utilisent des semoirs, comme ici, un semoir pneumatique (PHOTO 3) qui permet de semer plusieurs rangs en une fois ainsi que de prendre et poser les graines avec une grande précision.
SEMIS À LA VOLÉE DANS DES CONTENANTS OU AVEC UN SEMOIR, ICI PNEUMATIQUE
Les producteurs utilisent des terreaux de semis adaptés à cette étape, composés pour certains de tourbe, compost et engrais organiques.
La chaleur est pour n’importe quel semis, la condition sine qua non à son bon développement.
Beaucoup disposent donc d’une serre, qui permet de conserver les semis à l’abri des gelées, du froid. Une chaleur constante est maintenue, comprise entre 20°c et 25°C grâce à des outils comme le tapis/ nappe chauffante pour semis ou encore un voile d’hivernage/de forçage.
Après quelques jours (environ 5-6 jours), les 1ères petites plantules cassent la croûte de terre et apparaissent. Certaines ont encore l’enveloppe qui les protégeait au stade d’embryon (Photo ci-contre).
LEVÉE DE LA PLANTULE
Une fois sortie, la plantule laisse apparaitre les cotylédons, deux feuilles primordiales composantes de la graine, nécessaire au bon développement de la plantule. La variété Gorria (piment d’Espelette) est donc une plante dicotylédone. Les cotylédons lui apportent les nutriments dont elle a besoin grâce à la photosynthèse et aux réserves nutritives (protéines, lipides et sucres) créées dans la graine.
À présent, patience et soin seront le quotidien de cette « nurserie » !
Prenons-en de la graine !
Sources :
Darraidou, Andde, La si jolie histoire du Piment d’Espelette, Elkar, 2018.
Raineau, Clémentine, Recherches historiques, socio-économiques et ethnologiques sur un piment cultivé en Pays Basque, Muséum d’Histoire Naturelle, 1993.